Un DSI c’est quelqu’un qui est assis sur un siège éjectable, renouvelé tacitement à chaque Codir/Comex le lundi matin, il a un CDD hebdomadaire. Souvent un DSI gère plusieurs dizaines de projets en parallèle et il suffit d’un projet en difficultés pour que sa légitimité soit remise en cause
Découvrir le retour d'expérience d’un expert, qui a travaillé dans près d’une cinquantaine d'entreprises autour des questions d’innovation, de transformation, et d’urgences vous conduira au cœur des crises, au cœur de la réalité du métier d’un DSI de transition confronté à chaque mission à des enjeux humains très forts.
Comment intervient-t-on après le départ brutal d’un DSI, comment se positionne-t-on vis-à-vis d’un Comex, quelles sont les étapes d’une transition humaine réussie ?
Ses propos tout en nuance vous ouvrent les coulisses de la gestion de crises au cours desquelles les qualités d’écoute, de compréhension des interactions humaines et l’aisance relationnelle sont fondamentales.
Michel Devos est membre de la communauté d’Infortive, première communauté de DSI de transition en France. Il est l'invité de Bertran Ruiz, CEO de la société AirSaas et producteur du Podcast CIO Révolution. Cet épisode fait partie de la saison spéciale : Le DSI de transition pour affronter les crises - en partenariat avec Infortive.
Ingénieur informatique de formation, notre grand témoin a eu comme fil rouge la volonté de se construire par légitimité et compétences pour être un manager toujours capable de comprendre les métiers et l’activité des équipes.
Il a une expérience professionnelle de 35 ans avec une première partie de carrière où il est passé de la fonction de développeur à DSI puis un enchaînement de missions dans des entreprises en difficulté, à des moments clés de leur histoire pour les aider à passer des caps. Safran, Thales, Barclays, Harmonie Mutuelle, Videlio, …
Pour Michel le constat général est que le système d’information est une fonction support qui n’est pas toujours bien comprise et bien intégrée comme cœur du business par beaucoup de dirigeants. Ils ont déjà une certaine défiance voire une grande incompréhension par rapport à ce que fait la DSI. Ce qui peut expliquer effectivement qu’on soit dans la frustration jusqu’à un moment où la dernière goutte d’eau fait déborder le vase et on prend une décision brutale.
“ Un DSI est quelqu’un qui est assis sur un siège éjectable renouvelé tacitement à chaque Codir/Comex le lundi matin. Un CDD hebdomadaire ! Souvent un DSI gère plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de projets en parallèle et il suffit d’un projet en grandes difficultés pour que sa légitimité au sein de l’entreprise soit remise en cause, que la tension monte et qu’à un moment donné on décide de se séparer de cette personne pour essayer de renouveler une expérience qu’on espère meilleure.”
Il rappelle très justement que “lorsqu’on est cadre dirigeant on sait qu’une partie du job c’est potentiellement de jouer le rôle de fusible”. Autre point important qui peut aussi éclairer les raisons de ces départs brutaux : il note que “Les DSI ont en général des convictions fortes et peuvent décider que “trop c’est trop” et chercher à partir ! Le marché étant souvent tendu en informatique, en général ils n'ont pas de mal à se repositionner et dans ces cas le départ peut sembler brutal, malgré un préavis.”
Conscient de l’ampleur voire de l’ingratitude de la tâche du DSI qu’il remplace, Michel Devos nous confie ne pas jouer le rôle de ce qu’il appelle “l’intriguant qui remplace l’incompétent !”.
Michel a pleinement conscience de ce qui se joue au sein des équipes, dans ces périodes d'anxiété et de doutes.
Il relève en outre que quand un manager de transition arrive pour une période temporaire, cela peut aussi être déstabilisant pour les équipes qui ne peuvent pas s’installer dans une nouvelle phase de plusieurs années, puisqu’ils savent qu’ensuite un nouveau DSI arrivera.
Pour lui, il peut y avoir une froideur au départ. Pas forcément une agressivité. Il y voit souvent une forme de deuil qui n’est pas fait dans les équipes. On peut avoir des propos du genre “Tu sais, avant toi j’en ai connu quatre des DSI…Après toi j’en connaîtrai deux ou trois avant de partir en retraite !”
Cette situation, notre DSI de transition la gère en respectant les étapes clés des processus de changement. D’abord les crises, ensuite les urgences, enfin dans un troisième temps seulement la reconstruction d’une feuille de route pour la DSI en s'assurant qu'elle soit alignée avec la direction générale. Donc travailler avec les métiers et le comité de direction pour s’assurer que la feuille de route est alignée sur les vraies priorités de chaque métier qui aurait envie d’avoir son propre DSI :).
Un point intéressant est qu’en général il ne repart pas sur la même feuille de route que son prédécesseur. On pourrait penser qu’on attend du nouveau manager qu’il prenne en charge le ou les projets sur lesquels la personne précédente a été remise en cause. Or on attend du DSI de transition également un diagnostic sur le fond et il apparaît qu'en général il y a bien également une révision de la feuille de route de la DSI.
Cette question permet à Michel de résumer sa vision générale de la raison d’être d’une DSI d’après lui.
“On pourrait penser qu’une DSI c’est une machine à projet, et délivrer de nouvelles fonctionnalités pour les métiers. Une DSI c’est bien plus que ça ! C’est d’abord une gouvernance ! C’est d’abord la gestion d’équipe…C'est une machine qui doit aider l’entreprise à se transformer, à évoluer au moyen d’outils informatiques plus modernes. C’est aussi une direction qui va se porter garante du bon fonctionnement du portefeuille d’applications qui existent dans l’entreprise et aussi une fonction support aux utilisateurs. Et enfin, souvent une DSI c’est une activité cyber qui doit protéger l’entreprise des attaques autant que faire se peut et qui doit, lorsque l’attaque est avérée être capable d’aider l’entreprise à traverser cette crise et à repartir”.
Sur la question, centrale, de la restauration de la confiance et de l’envie au sein des équipes, Michel a partagé un conseil : “Pour réussir dans le métier de DSI de transition,
Il faut aimer les gens, aimer ses clients, aimer ses collaborateurs”.
Face à des équipes qui sont déstabilisées, il y a un moment de sympathie à avoir, puisqu’ils sont dans la douleur. Il y a un grand moment d’empathie qui passe par une écoute bienveillante, sans jugement de valeur. Et à un moment, il faudra remettre les gens au travail.
On doit arriver à la fin à avoir des gens qui adhèrent à la vision de ce que va être la DSI pendant sa transformation et qui sera sans doute la DSI du futur. Quel temps cela prend-il ? Michel a coutume de dire qu’un DSI qui arrive dans une entreprise baisse la tête pendant 100 jours pour passer sa période d’essai sans vagues, sans risques. Alors qu’un manager de transition a une centaine d’heures pour faire ce travail. Une des caractéristiques d’un bon manager, c'est donc d’être rapide dans le diagnostic. Et aussi très rapide dans la mise en place des premières actions. L’enjeu est d'identifier ce qui est vraiment critique. Pour ensuite être déjà capable d’avoir les idées claires sur ce qu’on va faire.
Beaucoup d’entreprises connaissent les mêmes enjeux humains avant tout. Et non pas techniques. Des sujets de conflits de personnes, d’alignement, de relations, de compréhension des clients.
“À force d'expérience de crises on a une capacité à détecter plus vite les signaux faibles .Et donc être capable plus tôt de rentrer dans le vif du sujet et d’avoir les premiers résultats.”
Outre le management de l’équipe et des partenaires de la DSI, comment s’y prend-on pour gérer les éventuelles questions de désalignement, dans le Comex / Codir en tant que DSI de transition ?
Michel nous dévoile sa lecture des différents niveaux de qualité de relation humaine dans les coulisses des Comex des 50 entreprises par lesquelles il est passé.
“Un Comex ça va de la dream team au panier de crabes ! Une “dream team” est souvent liée à un patron qui a su s’entourer au fil du temps de lieutenants avec qui il a une collaboration naturelle…Le clin d'œil suffit pour activer les décisions !”
Il évoque la face plus sombre des Comex type” panier de crabes” en rappelant que les membres qui le composent ont généralement des heures de vol et une tendance à avoir des ego très développés assortis de fortes convictions ! Pour Michel, c’est tout l’art du DSI de transition que de mesurer rapidement les rapports de force, le niveau de cohésion et puis s’adapter en fonction des cas.
Pas de recette miracle, il met en œuvre quelques principes clés : Il est important pour le DSI d’être bien à l’écoute. Même si des fois la situation le nécessite, la posture c’est de ne pas rentrer dans le jeu politique qui ne concerne pas le bien-fondé de sa mission.
“Ma posture c’est d'être dans la position d’un patron de bar tabac…Je sers tout le monde,
du client Communiste au client Front National, sans discuter politique pour éviter que les gens ne s’agressent dans mon bar et ne cassent ma vaisselle !
Michel Devos y voit les mêmes enjeux : “Un DSI est au service de toute l’entreprise, de tous les métiers. Il doit éviter d’être instrumentalisé, utilisé. Mais par parfois amené à se positionner par rapport aux enjeux du CA, du DG du PDG et parfois avoir à s’affronter avec certains membres du Codir qui sont désalignés par rapport à la politique de l’entreprise tout en pensant avoir raison…”
Pour réussir dans sa mission de transition auprès des Codir Comex, il souligne que l’arrogance est un facteur d’exclusion pour le DSI et que si le jargon technique est utile avec ses équipes, pour être précis et avancer vite entre pairs. Comme les médecins. Par contre c’est quelque chose à bannir dans un Comex ou il faut parler français, cela représente un véritable effort mais il faut vulgariser, utiliser des termes simples. Il conseille d’être frugal dans sa communication pour être impactant.
En exemple, il cite des termes qui nous semblent parfois implicites tels que KPI, COPIL, maintien en conditions opérationnelles, maîtrise d'œuvre et d’ouvrage … Autant de choses qui ne sont pas forcément bien assimilées par les interlocuteurs du DSI. D’autant que parfois le sens est différent… Enfin un DSI qui parle français ! :)
D'où l'importance de s’assurer que l’on met les mêmes choses derrière les mots !
Le jour où j'ai fait traverser l’usine “à l’arrêt” aux équipes SI…
En tant que DSI Michel a par exemple eu à traverser une situation de crise, ou tout le SI de l’entreprise s’est arrêté. Il raconte cette expérience forte ou il a fait traverser l’usine sans bruit à son équipe pour lui faire prendre conscience du chômage technique causé par eux !
Il rappelle qu’outre l'accélération digitale, le monde est bel et bien VICA (volatile, incertain, complexe et ambigu). Dans ce contexte les enjeux sont plus importants, plus stressants, …C’est pour lui, le rôle de DSI de savoir garder la tête froide pour traverser ces moments difficiles, ces moments de crises dont il rappelle que l'étymologie en grec signifie également opportunités.
DSI de transition dans une crise d’hypercroissance
Lorsque le DSI de transition n’arrive pas suite à une rupture ou à un départ brutal mais dans une organisation à très forte croissance, le challenge devient tout autre. Le DSI n'est pas regardé de la même manière, mais “attendu au tournant”.
Revenant sur son expérience, il confie que souvent les gens ont du mal à suivre ce grand challenge de l’hypercroissance. Ils sont en général dans une hyperactivité, la charge de travail augmente et donc il faut faire attention au burn-out, à ce que les gens ne se désalignent pas, aux tentations de repli vers les zones de confort. Et comme toutes les DSI au turnover plus important dans ces contextes.
Côté croissance du SI, il résume le challenge d’anticipation par une formule : “On doit préparer le système de demain avec les moyens d’hier”. Des moyens insuffisants par rapport aux enjeux.
Côté managérial, Michel évoque le fait que dans ces contextes d'hypercroissance, le pilotage de l’activité SI doit se structurer et changer de nature. La mission de DSI de transition peut alors nécessiter d’accompagner tout doucement les gens à être moins opérationnels, à manager plus leurs équipes et à utiliser plus le levier de leurs collaborateurs plutôt que le mode contremaître.
Une formule résume ce processus “Parfois on a un responsable informatique qui est plus homme-orchestre que chef d’orchestre”.
Un lâcher prise, changement de rôle et posture n’est simple pour personne, ni pour le collaborateur ni pour le manager et encore plus quand c’est un ancien membre de l’équipe.
Ce retour d'expérience sur le management de l’activité en phase de forte croissance est aussi l’occasion pour Michel de partager sa vision et façon de faire pour faire grandir les collaborateurs. Pour lui, un des principes clés de l’activité repose sur un lâcher prise, sur le fait de “Savoir faire confiance aux gens, quand ils ne sont pas à la hauteur”. Et “D’avoir confiance dans le fait qu’ils vont pouvoir se développer”. Sachant qu’un certain nombre ne se développeront pas, et qu’on sera déçu…
On aborde ici le rôle des managers, l’art d’accompagner, avec le bon doigté. “Si on accompagne trop, la personne va monter lentement, si on accompagne pas assez la personne va être perdue et se noyer”. C’est toute la valeur et la qualité du manager d’arriver à développer ses équipes.
Le levier de l’écoute et du collectif. Revenant sur les leviers de résolution de crises Michel recommande aux DSI et aux membres de l’équipe de travailler sur eux et leurs compétences relationnelles. D’écouter plus que de parler. De faire l’effort de véritablement écouter les membres du Comex, qui ont parfois du mal à exprimer leurs problématiques. Il conseille de reformuler au maximum pour s’assurer qu’on est alignés. Un travail à faire pour ne pas prendre la parole des interlocuteurs au premier degré. “C’est un conflit, car la plupart des DSI sont comme moi des machinologues”.
Cette intelligence émotionnelle est décidément une des marques de fabrique de notre DSI de transition !
La nouvelle dimension du poste de DSI avec un “D” comme Direction ! Pour lui, de plus en plus de DSI prennent conscience qu’ils sont avant tout, des membres du Comex, donc parties prenantes à la stratégie de l’entreprise, qu’ils sont une fonction support essentielle. Il a coutume d’évoquer l’énergie informatique, au même titre que l'énergie électrique.
Au-delà donc de sa “tribu informatique” (référence au livre de Philippe Breton), Michel Devos souligne l’importance pour un DSI de se rendre compte qu’il est un manager au service de la gouvernance du conseil d’administration !
Aujourd’hui, il y a bien une nouvelle dimension de la fonction qui est parfois sous-évaluée et qui peut être problématique pour la transformation de l’organisation.
Enfin, outre le lien fondamental avec son Comex, Michel Devos rappelle un dernier point qui peut être problématique pour les DSI eux-mêmes, lorsqu’ils viennent d’autres fonctions et ne sont pas issus de la tech, des “machinologues” pour reprendre un terme qui est cher à notre invité. En effet il a eu à intervenir dans une mission de ce cas de figure avec des gens très intelligents mais qui n’avaient pas été “adoubés”par leurs équipes. Pour lui : “Le pire pour un DSI c’est de se couper de ses équipes. Et avoir un discours face à un Comex qui n’est pas du tout relayé auprès de ses équipes. Là c’est la catastrophe…“
En synthèse de cet épisode, Michel évoque l’enjeu de l’équilibre général que doit gérer un DSI, qui doit réussir à aligner ses équipes, sur l’alignement du Comex, lui-même aligné avec son conseil d’administration. Un beau challenge !
Un panel d'expériences qui nous aura permis d’entrer dans le concret des missions de DSI de transition, ses enjeux et difficultés. Au final une place centrale des enjeux humains et de confiance. On voit bien que pour redresser la barre, il faut appuyer sur ce levier.
Le renforcement des compétences humaines du DSI, de ses qualités d’écoute, de compréhension des interactions humaines et de son aisance relationnelle sont bel et bien fondamentales.
Pour notre grand témoin, les DSI ont encore de longues années. On les a souvent enterrés. On a pensé pouvoir le remplacer par le directeur financier, directeur de l'organisation, le directeur digital, etc. on se rend compte qu’on a toujours besoin d’un DSI “tôlier”.
Toute la noblesse et l’amour de la fonction de DSI sont ici partagés. Son message final en témoigne :
Le podcast pour comprendre comme le métier de DSI est en train de changer. D'un métier technique à un métier orienté business, le DSI est la clef de la transformation de nos entreprises.
Chaque semaine, Bertran ruiz discute avec les CIO et DSI qui se livrent, et vous partagent leurs expériences. Un condensé de savoir et d'apprentissage.